Placer l’environnement au cœur de la politique économique

Publié le 25 février 2022

C’est le titre d’une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qui vient d’être publiée dans Policy brief n°100 du 9 février 2022. Ce travail est destiné à alimenter le débat de la campagne de l’élection présidentielle. L’OFCE publie en plus une vidéo et des diapositives traitant de ce sujet.

Cette étude rappelle que la trajectoire suivie par la France concernant les émissions de gaz à effet de serre la France est très en retard sur l’objectif de neutralité carbone en 2050. Pour corriger cette trajectoire il faut à la fois développer les politiques de sobriété, accélérer les évolutions technologiques et les mettre en œuvre sans tarder.

« L’objectif de ce Policy brief est de faire le diagnostic des politiques de lutte contre le changement climatique en France et de mettre en avant les grands chantiers nécessaires. Nous revenons d’abord sur les performances de la France en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Bien que des efforts soient engagés, les politiques mises en œuvre sont en retard par rapport à l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Au rythme de baisse des émissions des 10 dernières années, cet objectif ne serait atteint qu’en 2130. Il est donc primordial dès le prochain quinquennat de relancer concrètement la politique environnementale de la France.

Pour mettre la France sur une trajectoire de décarbonation ambitieuse et réaliste, deux stratégies sont souvent opposées. La première repose sur les évolutions technologiques tandis que la seconde s’appuie sur la sobriété énergétique. Nous montrons au contraire la complémentarité des deux approches qui ont chacune leurs incertitudes : pari technologique versus pari de la modification des comportements. Le point commun de toute stratégie compatible avec la neutralité carbone en 2050 est qu’un effort significatif à mettre en œuvre sans délai est nécessaire. Un enjeu important de l’élection présidentielle est de trancher démocratiquement sur quoi doit porter cet effort et sur les instruments à privilégier : inciter à des modes de consommation plus sobres, investir massivement dans des modes de production d’énergie décarbonée, faire des choix technologiques, etc.

Cela nous amène à discuter des avantages et des inconvénients des principaux instruments économiques (prix du carbone, subventions, investissements publics, normes, sensibilisations) dont disposent les décideurs politiques pour mettre en œuvre la transition bas carbone. Nous en tirons plusieurs conclusions. Aucun instrument n’étant parfait, la politique environnementale nécessite de s’appuyer sur une combinaison d’instruments et donc d’être pensée dans sa globalité. Le manque de considération des questions d’acceptabilité et de justice sociale sont des éléments clé pour expliquer les blocages autour des politiques de lutte contre le changement climatique.

Nous proposons deux pistes pour relancer les politiques environnementales :

  • Améliorer la transparence autour des prix du carbone (explicites ou implicites) payés par les différents agents. Cela passe par une réforme fiscale qui convertisse explicitement les taxes énergétiques en fiscalité carbone. Cela faciliterait la comparaison des dispositifs existants (fiscalité, marchés de quotas, ou normes) et donc les efforts des différents agents dans la lutte contre le changement climatique ;
  • Structurer la politique économique autour de la question climatique et de la réalisation de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cela pourrait passer par la fusion des ministères de l’Économie et des finances avec celui de la Transition écologique, comme cela s’est fait aux Pays-Bas et en Allemagne. Ceci permettrait de faciliter la mise en œuvre des grands chantiers économiques liés aux politiques environnementales : politiques d’investissements, de planification, ou industrielles, mais également de redistribution et de soutien aux différents acteurs, ménages et entreprises exposés. Cette fusion doit aller de pair avec le renforcement des conseils indépendants d’évaluation et de recommandation, comme le Haut-Conseil pour le climat… »

En conclusion :

« L’environnement au centre de la politique économique

Au-delà de la problématique du prix du carbone, il faudrait que le prochain quinquennat initie un réel recentrage de la question environnementale au sein même de la politique économique. Longtemps considérée secondaire par rapport aux questions économiques traditionnelles comme les politiques budgétaire, fiscale, monétaire, de redistribution, de progrès techniques ou d’emploi, l’urgence climatique fait prendre conscience que la transition écologique est en réalité centrale pour la politique macroéconomique. D’un point de vue théorique, tenir compte des externalités négatives est une conséquence logique de la rationalité économique. Les sciences économiques ayant pour objectif d’optimiser l’usage des ressources afin de satisfaire au mieux le bien-être humain, le maintien du capital environnemental est fondamental autant pour le processus de production que pour la qualité de vie. Il devrait donc être au centre de la stratégie économique. C’est aussi justifiable d’un point de vue plus pratique. La lutte contre le changement climatique a des conséquences économiques importantes qui touchent les interventions traditionnelles de la politique macroéconomique, que ce soit la fiscalité, l’investissement public et sa planification, la stratégie industrielle, les incitations, la réglementation ou les questions de financement. Enfin, l’importance de la question environnementale est amenée à se renforcer encore dans les années à venir avec l’essor d’autres problématiques que le changement climatique : la maîtrise de l’usage des ressources naturelles ou l’économie circulaire.

Étant donné les montants monétaires en jeu, l’impact sur la structuration des futurs systèmes de production ou l’importance de réduire les incertitudes économiques des investissements à mettre en œuvre, la politique climatique doit modifier toutes les politiques économiques et être aussi appréhendée comme une politique macroéconomique à part entière (voir Pisani-Ferry, 2021 pour une analyse en ce sens). Une proposition concrète serait de fusionner les ministères de l’Économie et de l’Environnement. Encore anecdotique, les Pays-Bas ont franchi le pas en 2017 et l’Allemagne en 2021, en fusionnant les ministères de l’Économie et du Climat. Si les conséquences restent encore à évaluer, une telle évolution est souhaitable pour coordonner certains grands chantiers économiques liés au changement climatique : les mécanismes d’incitation (prix du carbone, subventions), la planification et le financement des investissements publics, la politique industrielle, la compensation et les aides aux filières et aux ménages exposés. Cette fusion doit aller de pair avec le renforcement institutionnel des instances indépendantes d’évaluation, comme le HCC, afin de s’assurer du réalisme des engagements et des moyens mis en œuvre. »

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