La fin d’un endémisme illégal en Isère : les ZIS ?

Publié le 14 avril 2023

Chacun commence à connaître les ZAC (zone d’aménagement concertée – souvent sans concertation). Telles les ZAC Inspira et Portes du Vercors (voir billet de l’ADES ici). Ce qui les unit, c’est la ZIS (Zone d’intérêt stratégique), doublement mise en œuvre dans le seul département de l’Isère, par le même préfet (Lionel Beffre) au bénéfice du même aménageur (Isère Aménagement, principale filiale du groupe Elegia présidée par le président du département).

La ZIS : zone d’intérêt stratégique ou bien zone illégale systématique ?

La circulaire ministérielle du 27 juillet 2011, qui crée de telles ZIS, est « relative à la prise en compte du risque de submersion marine dans les plans de prévention des risques naturels littoraux ». Première irrégularité : une circulaire (de surcroît, non parue au JO) ne pouvait ainsi modifier le code de l’environnement. D’autant plus sur des questions aussi importantes que les risques d’inondation. C’est pourquoi elle a été remplacée depuis lors par un décret pris en Conseil d’Etat en 2019. Deuxième irrégularité : elle ne concerne, on l’a compris, que des espaces littoraux pouvant être affectés par un risque de submersion marine. C’est pourquoi, les ZIS sont exceptionnelles en France. Mais pas en Isère, grâce au préfet Beffre.

ZIS illégale de la ZAC Portes du Vercors

Confronté pour la première fois à cet artifice juridique lors de l’enquête publique relative au projet ZAC du Vercors, le commissaire enquêteur Gabriel Ullmann pose la question sur la légalité de la ZIS à la directrice de la DDT, qui lui répond : « La qualification de ZIS n’est régie par aucun texte réglementaire », alors même qu’elle était chargée de l’instruction de la demande de classement en ZIS, sur instruction du préfet. Cette question faisait suite à une interrogation du commissaire enquêteur portant sur le courrier adressé par le préfet au maître d’ouvrage, lui assurant « la possibilité de qualifier le projet et sa localisation de Zone d’Intérêt Stratégique (ZIS) », ce qui permet de… « développer des projets en zone inondable » (sic).

Troisième illégalité :selon ladite circulaire, ne peut être qualifiée de ZIS qu’une « zone urbanisée ou en continuité d’une zone urbanisée ». Les zones non urbanisées, à savoir les zones agricoles de Portes du Vercors ne pouvaient donc, en aucun cas, être concernées.

Que croyez-vous qu’il arrivât ? Le préfet de l’Isère classa en ZIS, le 6 juin 2018, les 20 ha de terres agricoles de Sassenage, pourtant très vulnérables (aléas forts) en cas d’inondation du Drac.

Occultation de la ZIS dans la saisine de l’autorité environnementale

L’illégalité de la situation est amplifiée par l’occultation totale de l’existence de la ZIS dans le dossier de saisine de l’Autorité environnementale, en octobre 2018, plusieurs mois après son classement, concernant le projet de plan de protection des risques d’inondation (PPRI). Il en résulta que, sur la base de ces informations tronquées, cette autorité a considéré, dans sa décision n° F-084-18-P-0085, le 12 décembre 2018, que le PPRi du Drac aval n’était pas soumis à évaluation environnementale.

Une telle démarche de ZIS, c’est-à-dire de permettre de construire en zone inondable (avec un aléa fort) était encore d’autant plus répréhensible que, dans un article du Dauphiné Libéré du 6 janvier 2018, le préfet de l’Isère, en la présence de Monsieur Jean-Pierre Barbier, président du groupe ELEGIA, dont la principale filiale est la société Isère Aménagement, avait lui-même attiré l’attention sur le risque inondation et déclaré : « Je sais que les citoyens et les élus sont tentés de construire, mais il faut respecter les risques et les aléas. On oublie vite, mais Xynthia, c’était en 2011 ».

Enquête publique sur le PPRI Drac aval et retrait de la ZIS

Après investigations, qu’il faut saluer, la commission d’enquête sur le PPRI est accablante, dans son rapport et ses conclusions du 15 mars 2023, sur l’illégalité de la ZIS, et sur les risques encourus par des constructions en zone inondable. Anticipant cela, le préfet a procédé au retrait de la ZIS des Portes du Vercors en cours d’enquête.

Dans son rapport en date du 31 juillet 2017 sur le projet de ZAC Portes du Vercors, le commissaire enquêteur Gabriel Ullmann alertait déjà sur l’illégalité d’une telle ZIS : « Comme cette qualification ne repose sur aucune réglementation applicable, la possibilité de réaliser le projet en zone inondable, de surcroît en aléa fort, ne peut que conduire à fortement s’interroger sur la pertinence de ce choix, notamment en termes de la « loi de sur l’eau » au regard des incidences sur les tiers ». Et de conclure défavorablement au projet.

Ce sont ainsi six années de perte de temps, d’argent et d’insécurité juridique du projet, du fait de l’absence de prise en compte des conclusions de l’époque du commissaire enquêteur. Lequel avait alors néanmoins fait l’objet de critiques pour son avis défavorable.

Où l’on retrouve la ZIS…dans le projet Inspira : situation endémique à l’Isère

La même illégalité, pour les mêmes objectifs (construire en zone inondable, mais cette fois non plus des lotissements, mais des industries, certaines pouvant être classées Seveso) se retrouve dans le projet Inspira. Il s’agissait en l’espèce de classer en ZIS des zones naturelles et agricoles. Pour ce faire, selon les termes de la circulaire, il fallait qu’elles fussent considérées comme des zones urbanisées.

Dans le cadre de l’examen du dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique du projet de ZAC Inspira, emportant mise en compatibilité du document d’urbanisme, la DDT de l’Isère avait, dès le 26 janvier 2017, alerté le préfet Beffre que le classement en zone urbaine des parties concernées du projet était entaché d’une « erreur manifeste d’appréciation » :

Cela avait notamment conduit la commission d’enquête, présidée par Gabriel Ullmann, de rendre un avis défavorable, ce qui avait valu quelques mois plus tard la radiation de ce dernier.

La situation était d’autant plus critique lors de l’enquête publique, qu’un an plus tard, même après de nouvelles études et mesures, l’Autorité environnementale relevait encore la « vulnérabilité de la ZAC » aux risques d’inondation, malgré tous les aménagements prévus, et rappelait l’importance pour le maître d’ouvrage d’obtenir « une reconnaissance en zone d’intérêt stratégique (ZIS) afin de pouvoir bénéficier d’une dérogation à l’inconstructibilité en zone inondable » (Avis délibéré Ae n° 2019-64 adopté lors de la séance du 10 juillet 2019).

Comité stratégique Inspira et préfet de l’Isère

Sur le site internet Inspira (https://www.espace-inspira.fr/decouvrir/les-acteurs/les-partenaires/), la Préfecture de l’Isère est expressément identifiée comme « Partenaire » et présentée comme « moteur » avec voix au chapitre dans le « pilotage stratégique », en mobilisant dans ce cadre tous ses services :

Ainsi, le préfet siège au comité stratégique du projet Inspira, bien que l’Etat n’en ait pas la maîtrise d’ouvrage, « pour définir les grandes orientations du projet ». Parmi ces grandes orientations stratégiques, la question du classement en ZIS est centrale : construire des sites industriels à risques en zone inondable, surtout dans un contexte de forts aléas climatiques croissants, n’est en effet pas la moindre des questions stratégiques.

Or, la demande de classement en ZIS, dans les conditions que l’on connaît, où le préfet est partie prenante, même indirectement, est instruite par les services du préfet, à qui il revient ensuite de prendre la décision finale. La question d’éventuels conflits d’intérêts dans cette épineuse question de ZIS se pose entièrement.

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