Mayotte : des rappels indispensables pour comprendre

Publié le 28 avril 2023

La démonstration de force décidée par Macron, pilotée par Gérald Darmanin sur l’île de Mayotte, a connu dès son démarrage des ratés, bloquée par la justice et par le refus des Comores d’accueillir les personnes expulsées.

Le juge des référés du tribunal judiciaire « ordonne au préfet de Mayotte de cesser toute opération d’évacuation et de démolition des habitats » à Majicavo. Il considère que la destruction des habitations « met en péril la sécurité » des habitants. Le vice-président du conseil départemental, interrogé sur l’opération sur Mayotte, a provoqué un tollé en suggérant de « tuer » des délinquants.

Pour comprendre ce qui se passe à Mayotte, un communiqué de la Défenseure des droits rappelle que la nécessité de garantir l’ordre public et la sécurité ne peut, en aucun cas, autoriser des atteintes aux droits et libertés fondamentales des personnes.

Un communiqué de l’intersyndicale (CGT, FSU, Solidaires) et une analyse d’Edwy Plenel de Médiapart apportent des éléments de réflexions pour prendre position contre cette opération typiquement d’extrême droite.

Voici un extrait du communiqué du 21 avril de l’intersyndicale : « Nos organisations syndicales CGT, FSU et l’Union syndicale Solidaires s’inquiètent fortement de l’opération Wuambushu, organisée par Gérald Darmanin et validée par Emmanuel Macron, prévue à Mayotte à partir du 21 avril

Cette opération prévoit de détruire massivement des habitats précaires et de multiplier les arrestations et les expulsions quotidiennes jusqu’à plusieurs centaines de personnes migrantes issues des îles voisines. Les destructions visent 5 000 personnes dans 1 000 « bangas », soit 10% des habitats en tôles dans lesquels vit la moitié de la population de Mayotte. Nous craignons, à l’instar de nombreuses organisations internationales et nationales (CNCDH, UNICEF, LDH notamment) la multiplication des violences et des atteintes aux droits.

Or la situation à Mayotte, département français d’environ 300 000 habitants est déjà catastrophique : 80% des habitant-es vivent sous le seuil de pauvreté et de nombreuses mesures d’exception sont la règle…

La CGT, la FSU et l’Union syndicale Solidaires appellent le gouvernement à arrêter toutes les mesures répressives. Ce qu’il faut à Mayotte c’est l’égalité des droits (y compris pour les étrangers) et d’accès aux services publics et de réels moyens pour la santé, l’éducation et le logement pour l’ensemble de la population. »

Voici un extrait de l’article d’Edwy Plenel du 25 avril intitulé : « Mayotte, île de la cruauté »

« Devenue département français depuis un référendum en 2009, Mayotte est le fruit d’un rapt (lire ce rappel historique de Rémi Carayol sur AfriqueXXI). Violant la règle internationale de respect des frontières, la France l’a arrachée à l’archipel dont elle faisait partie, les Comores, lors de la décolonisation de ce territoire en 1975. Cette annexion est illégale au regard du droit international, qu’il s’agisse des résolutions de l’ONU ou de celles de l’Union africaine. De ce même droit international que l’on invoque, à juste titre, pour combattre les annexions russes qui ont précédé la guerre d’invasion contre l’Ukraine. La France qui vote à l’ONU les résolutions condamnant la Russie en viole donc allègrement les principes.

Les chantres de la souveraineté française sur Mayotte opposent au droit international que cette annexion fut conforme à la volonté majoritaire des Mahorais, faisant fi des intérêts de quelques familles de notables qui y ont œuvré. En vérité, comme l’illustrèrent longtemps les menées barbouzardes de mercenaires, dont le fameux Bob Denard, dans cet archipel, il ne s’est jamais agi pour la France de l’intérêt des populations locales, mais égoïstement des siens, dans une logique de puissance impériale au vu de la position stratégique de Mayotte dans le canal du Mozambique.

La meilleure preuve en est donnée par l’état lamentable dans lequel la France maintient la population de Mayotte et dont un rapport de 2022, rédigé par six ministères et révélé par Mediapart, dressait un inventaire exhaustif. Département pour la forme, Mayotte est reléguée dans les bas-fonds de la République française. Elle en est le département le plus pauvre, avec 8 personnes sur 10 qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté, un actif sur trois au chômage et une espérance de vie qui plafonne à 75 ans. Avec, surtout, une dotation par habitant trois à quatre fois moins élevée que dans l’Hexagone.

C’est une guerre aux pauvres qu’a donc lancée Gérald Darmanin, et pas seulement aux migrants. Car les populations visées par cette opération spectaculaire sont les mêmes que celles qu’elle prétend protéger. À Mayotte, les Comoriens et Comoriennes que la France veut expulser de l’île, en détruisant d’abord leurs habitations (lire le reportage de Nejma Brahim), puis en les parquant dans des camps, ne sont pas des étrangers. C’est le même peuple, la même culture, la même langue, la même religion. Le gouvernement, rappelle l’ethnologue Sophie Blanchy, « a face à lui une seule et même population ». La seule distinction, c’est que certains ont la nationalité française et d’autres non.

Dès lors, l’on devine combien ce qui se joue là-bas nous concerne ici. Cette grande rafle de Mayotte fait la promotion de la pire idéologie d’extrême droite, le « grand remplacement ». Elle montre que l’on peut faire le tri au sein d’un même peuple, après avoir installé l’idée monstrueuse d’une occupation étrangère qui légitimerait l’expulsion des indésirables. À la face du monde, la France des droits de l’homme abdique ainsi sur l’égalité des droits, donnant le feu vert à tous les régimes autoritaires – et ils ne manquent pas, en Afrique même, comme l’a démontré récemment l’autocrate président tunisien – qui feront la chasse aux humanités en mouvement pour ne pas avoir de comptes à rendre à leurs peuples.

Dans la même aire géographique, une autre puissance impériale a pris possession d’un archipel afin d’y défendre ses intérêts égoïstes et d’y installer ceux de ses alliés : l’archipel des Chagos est la dernière colonie britannique dans l’océan Indien, ce qui permet aux États-Unis d’Amérique d’y avoir une base militaire, sur Diego Garcia, la plus grande île. Les Chagossiens, qui y demeuraient depuis le XVIIIe siècle, ont été brutalement chassés et contraints à l’exil. Avocat franco-britannique, Philippe Sands s’est battu pour que cette injustice soit condamnée par le droit international, jusqu’à être reconnue et jugée comme un crime contre l’humanité.

De ce combat, il a fait un livre, La Dernière Colonie, paru l’an dernier (lire son entretien avec Joseph Confavreux). En épilogue, il a simplement mis cette citation du poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »

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