Des responsables politiques de la situation actuelle sont bien connus

Publié le 7 juillet 2023

La recherche des responsabilités qui ont mené à l’explosion de colère et aux jacqueries à grande échelle suite à l’assassinat de Nahel à Nanterre, doit être menée par l’ensemble des institutions de notre République. Même si les premières réactions ont enflammé les jeunes issus des quartiers politique de la ville, la diversité des acteurs des pillages montre que la réalité dépasse ces seuls territoires. On ne peut pas se contenter des raccourcis débiles enjoignant les parents à s’occuper de leurs enfants et ensuite tout ira bien.

Dans l’immédiat, il y a tout de même des responsabilités évidentes de certains acteurs politiques dont les trois derniers présidents de la République, leurs gouvernements et leurs soutiens parlementaires. Nous mettons en cause la nouvelle loi sur la sécurité publique adoptée à la fin de la présidence Hollande, l’abandon par N. Sarkozy de la police de proximité, l’évolution de la doctrine du maintien de l’ordre de plus en plus violente et enfin le refus de Macron en 2018 de prendre en compte le plan Borloo pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Et il faudra bien admettre un jour que la lutte contre les mafias de la drogue qui pourrissent la vie dans certains quartiers est inefficace et penser à la légalisation du cannabis à l’instar du tabac et de l’alcool.

L’assassinat du jeune Nahel, 17 ans, par la police à Nanterre le 28 juin 2023 a été rendu possible par la loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Cette loi a été préparée en 2016 par Manuel Valls premier ministre et portée par son ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, devenu premier ministre finissant et Bruno Le Roux qui lui a succédé au ministère de l’Intérieur. Cette loi a largement élargi l’usage des armes par les forces de l’ordre, par exemple :

« Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

C’est Nicolas Sarkozy qui a supprimé la police de proximité et depuis la doctrine du maintien de l’ordre n’a fait qu’évoluer vers plus de violence, elle est dénoncée partout notamment en Europe.

Voir par exemple, les analyses du Directeur de recherche au CNRS, Sébastian Roché dans Le Monde du 4 juillet. Il appelle à une réforme systémique pour lutter contre les violences policières et à l’abrogation de la loi de 2017 sur le refus d’obtempérer qui a pu mener à la mort du jeune Nahel. En voici quelques extraits :

« Les mauvaises pratiques policières sapent les fondements de la République »

Les mauvaises pratiques policières, violence en tête, sont toxiques pour la nation. Le régime démocratique ambitionne de réunir les différences sur la base de l’égalité afin d’assurer la cohésion sociale, mais celle-ci est corrodée par des comportements que la morale réprouve et que la loi interdit. Il est temps que la classe politique en prenne conscience et déchire le voile d’ignorance qu’elle préfère se mettre sur les yeux.

Comme à Los Angeles en 1992, à Clichy (Seine-Saint-Denis) en 2005, à Londres en 2011, le tir mortel sur Nahel à Nanterreprovoque une indignation morale, et une colère qui déclenche des émeutes, déchirant la collectivité politique. Il est trop facile, et surtout erroné, de blâmer les comportements individuels des policiers. Les hommes politiques qui votent les lois, permettant aux policiers de tirer lorsqu’il n’y a pas de danger, sont à la source des émeutes destructrices. Blâmer les familles, les jeux vidéo, les médias sociaux et les quelques « pommes pourries » dans la police – qu’il convient de sévèrement punir – est la tactique des décideurs qui visent à s’exonérer de leurs responsabilités…

Perte de confiance dans les élus et la loi

Un homicide policier « de trop » a mis le feu aux banlieues. Mais quel est le carburant qui a été enflammé ? Il est composé des émotions accumulées par les adolescents, lors de ces contacts ordinaires avec des policiers, faits de peur et d’humiliation. La jeunesse y est particulièrement sensible, plus que tout autre segment de la population. Ces expériences engendrent non seulement un rejet de la police, mais aussi une perte de confiance dans les élus et la loi, et un effondrement de la croyance dans la valeur des processus démocratiques. Ceci explique que les appels au calme ou la décision de mettre le policier en examen pour homicide volontaire n’ont guère d’effet d’apaisement.

La discrimination et la brutalité sont régulières, lors des contrôles d’identité. Nous disposons maintenant de plus d’une dizaine d’enquêtes de politistes, démographes ou du défenseur des droits qui prouvent l’existence de contrôles au faciès de Paris à Marseille en passant par Lyon. La discrimination est un délit, quand bien même un policier en est l’auteur…

Les problèmes sont systémiques, mais ce mot parait imprononçable à nos ministres ou présidents successifs. Est-il encore temps de cacher la poussière sous le tapis quand la France brûle une deuxième fois, plus souvent même que le Royaume-Uni dont les émeutes de 2011 ont ravagé Londres…

La violation des droits par des policiers, à commencer par le droit à la vie, est vécue comme particulièrement insupportable. La raison est simple : la police agit au nom de la loi. Comment croire dans les grands principes déclamés de haut des estrades lorsqu’on fait de manière répétée l’expérience de leur vacuité ? C’est pourquoi les mauvaises pratiques policières sapent les fondements de la République

Il est temps d’y mettre un terme. Seule une réforme systémique le permettra, en commençant par l’abrogation de la loi de 2017. »

Enfin, le traitement politique des quartiers politique de la ville, ghettos de pauvres par définition, a été abandonné par Macron quand il a refusé en 2018 de mettre en œuvre ce que proposait le rapport qu’il avait lui-même demandé à Borloo en novembre 2017. Le rapport s’intitulait : Vivre ensemble, vivre en grand : pour une réconciliation nationale. Il proposait 19 mesures intitulées : la qualité urbaine pour tous ; la mobilité, un droit et une nécessité ; investir dans la petite enfance ; de l’école à la « cité éducative » ; grandir par la culture ; développer et insérer nos quartiers par le sport ; tout passe par l’entreprise et l’emploi ; un plan national pour gagner la bataille contre l’illettrisme et l’illectronisme, former aux savoirs de base ; 200 quartiers d’excellence numérique ; reconnaître les nouveaux visages de Marianne ; l’académie des leaders, la nouvelle grande école ; une nouvelle armée de la république solidaire ; agir fermement pour la sécurité et la justice ; des moyens d’agir pour les communes ; la Nation garantit à tous la protection de la santé ; les associations : le cœur des quartiers ; lutter contre les discriminations ; une Cour d’équité territoriale et à la rencontre de l’Autre

Comme nous l’écrivions le 25 mai 2018 : Le plan Borloo a fait pschitt. « Mais « Jupiter » ne pouvait pas s’abaisser à prendre en compte un plan qui avait reçu le soutien de trop d’élus locaux, cela aurait laissé l’impression qu’il acceptait ce qui venait d’en bas…

Voici le début de l’introduction à ce rapport :

« L’heure n’est plus aux rapports d’experts, l’heure est à l’action.

La situation est facile à résumer : près de 6 millions d’habitants vivent dans une forme de relégation voire parfois, d’amnésie de la Nation réveillée de temps à autres par quelques faits divers ; un effort public en berne ; des maires de banlieues qui se battent en première ligne, qui craquent parfois et jettent l’éponge, des agents publics et des bénévoles épuisés.

Les causes sont connues : des grands ensembles impossibles construits sous l’influence de la charte d’Athènes, enfermés sur eux-mêmes et enclavés, ne bénéficiant pas toujours des fonctions d’une ville, parfois même hors ville, mais toujours de véritables cicatrices urbaines. Construits rapidement, tous sur le même modèle, pour résorber la crise du logement, ils ont en outre accueilli une immigration de travail transformée en immigration familiale, sans que les moyens d’accueil et d’intégration n’aient été au rendez-vous. Dans le même temps, les usines en proximité qui avaient justifié leur venue fermaient ; la pauvreté concentrée ; le chômage de masse ; des familles parfois monoparentales ; une jeunesse déracinée qui peine à faire sa place (500 000 jeunes soit plus de 50% des jeunes des quartiers).

L’archipel des 1500 quartiers de la politique de la ville (QPV), c’est l’équivalent de la population cumulée des 10 premières villes de France. Parmi eux, 216 connaissent des difficultés urbaines plus graves encore, 60 sont en risque de fracture et 15 en risque de rupture.

Mais c’est bien plus en réalité, car ce cumul de graves difficultés et leurs conséquences impactent les quartiers populaires qui leur sont proches et se diffusent alentour, un alentour culturel, géographique et générationnel.

Si on ajoute, les territoires ruraux délaissés et certaines villes ou bassins en grave déprise, ainsi qu’une partie importante de nos territoires d’outre-mer, ce sont plus de 10 millions de compatriotes qui sont éloignés du moteur de la réussite, n’ont pas les mêmes conditions de départ, les mêmes services de base et donc la même chance de pouvoir, par leur effort et leur mérite, construire un véritable avenir. Pour cette France, tout est plus dur…

Ce changement radical dans la conduite de l’action publique devra pouvoir être appliqué partout où il y a dysfonctionnement : villes moyennes en déprise, outre-mer, zones rurales délaissées, zones urbaines prioritaires, même si chacune d’entre-elles verront des moyens complémentaires adaptés et renforcés (notamment les Assises des outre-mer en juin 2018).

C’est une réforme de l’action publique pas seulement gouvernementale, c’est un sursaut de tous les acteurs de la Nation, dans une feuille de route claire.

Ces propositions ont été construites avec l’ensemble des acteurs : Communes, Agglomérations, Régions, Départements, Entreprises, Partenaires sociaux, Associations et État bien sûr.

Des programmes simples robustes, évaluables et complémentaires : remettre à plat, simplifier, ne plus confondre opérateur et financeur, stabiliser, redéfinir les objectifs et leurs indicateurs…

Pour vivre ensemble, il faut faire ensemble… »

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