Sanction contre le préfet pour l’utilisation de drones lors d’une manifestation

Publié le 14 juillet 2023

Le 5 juillet une manifestation devant le Palais de justice de Grenoble pour demander justice pour Nahel, a été survolée pendant plus d’une heure par deux drones de la police nationale, sans autorisation préalable.

Le tribunal administratif saisi par le professeur de droit grenoblois et militant de la défense des libertés Serge Slama, a déposé un référé liberté demandant au préfet de l’Isère  « de mettre sous séquestre un exemplaire des données à caractère personnel collectées illégalement, en l’absence d’arrêté préfectoral d’autorisation, par
des caméras installées à bord d’un drone de la police nationale à l’occasion de la manifestation du mercredi 5 juillet devant le Palais de justice en vue de leur transmission à la CNIL ; d’ordonner l’effacement immédiat de ces données sur tous les autres supports (mémoire du drone, disque dur des ordinateurs destinataires, rapports des policiers) ainsi que la destruction de tout rapport de police ayant pu être constitué à partir de l’exploitation de ces données. »

Voici un extrait de l’ordonnance du juge des référés du 8 juillet (n°2304323) qui rappelle les fondamentaux du respect de la vie privée et les règles d’utilisation de tels drones.

« 4. Un dispositif de survol, par deux drones, de personnes participant à un rassemblement a été mis en place le mercredi 5 juillet 2023 aux abords du palais de justice de Grenoble.
5. La préfecture fait valoir, au demeurant sans contester l’urgence, qu’aucun enregistrement n’a alors été réalisé. Toutefois, la pièce fournie en défense pour justifier de l’absence d’enregistrement, intitulée « 1. Fiche mission drone », dont il n’est pas même soutenu qu’elle constituerait un extrait du registre prévu aux articles L. 242-4 et R. 242-12 du code précité et qui ne mentionne ni l’identité de l’autorité responsable ni celle des personnes ayant eu accès aux images, est dépourvue de force probante. En outre, il ressort des dispositions… que ces deux aéronefs munis de caméra, s’ils permettent le visionnage en temps réel, sont dotés de dispositifs assurant l’enregistrement et la traçabilité des consultations ainsi que l’intégrité de ces données jusqu’à effacement. Le survol de ces deux drones pendant plus d’une heure a donc nécessairement entraîné une transmission et un enregistrement de données à caractère personnel, légalement conservés sous la responsabilité du chef de service ayant mis en œuvre le dispositif.
6. Dans ces circonstances, il doit être tenu pour acquis que, contrairement à ce que soutient le préfet, il existe des enregistrements et qu’ils sont susceptibles d’être effacés à tout moment et au plus tard le 12 juillet en application des dispositions précitées. Par suite, il y a urgence, au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, à les conserver.


Sur l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
7. Le recours à des aéronefs destinés à capter, transmettre et enregistrer des images d’un grand nombre de personnes participant à un rassemblement porte atteinte au droit au respect de leur vie privée. Dès lors et compte tenu des usages contraires aux règles de protection des données personnelles qu’elle comporte, cette mesure est encadrée par des dispositions légales et règlementaires imposant, d’une part, qu’elle soit autorisée par un arrêté préfectoral qui précise, sous le contrôle du juge, la finalité et le périmètre strictement nécessaire à garantir l’ordre et la sécurité publics et, d’autre part, que le public concerné en soit informé par tout moyen « sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis ».
8. L’arrêté préfectoral « autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’image au moyen de caméras installées sur des aéronefs » n’a été publié qu’à réception de la présente requête et non avant sa mise en œuvre de sorte qu’il n’était pas entré en vigueur. Le recours à ces aéronefs munis de caméra n’a donc été ni autorisé ni valablement contrôlé par le préfet ou le juge.
9. Il est constant que les personnes participant à ce rassemblement n’ont pas été informées du recours à ces aéronefs destinés à la captation et l’enregistrement. Le préfet se borne à indiquer en défense qu’une telle information « entrait en contradiction avec les objectifs poursuivis de la mission », sans plus de précision alors qu’il conteste par ailleurs tout enregistrement et que l’arrêté produit est entaché de contradiction entre les motifs et le dispositif sur ce point. En l’état, aucun élément ne permet de retenir que l’information était contraire aux objectifs, non connus, de la mission.
10. Dès lors, le requérant est fondé à soutenir, en sa qualité de personne susceptible d’avoir été filmée dans ces circonstances, qu’il a été porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à la vie privée. De plus fort, alors qu’en l’état de l’instruction, il n’apparaît pas qu’un quelconque contrôle a été exercé sur l’accès en temps réels à ces images, ni sur les éventuels usages postérieurs.


Sur les conclusions en injonction :
11. Il y a lieu, pour faire disparaître les effets de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée, d’ordonner au préfet, d’une part, de préserver un exemplaire des données et enregistrements recueillis par les deux drones déployés, en plaçant sans délai sous séquestre leur mémoire ou, si elle a été effacée, tout support contenant les enregistrements, pièces à adresser à la Commission nationale de l’informatique et des libertés sur sa demande. D’autre part et en dehors de l’exemplaire sous séquestre, il doit être enjoint au préfet de faire procéder, sans délai, à
l’effacement des enregistrements correspondants et de toutes les copies qui auraient pu en être faites ainsi qu’à la suppression dans d’éventuels rapports de police de toutes les données ayant pu être recueillies à partir de l’exploitation de cette captation.
12. Le préfet justifiera dans un délai de 72 heures à compter de la notification de la présente ordonnance et sous astreinte provisoire de 500 euros jours de retard, des mesures prises en exécution de la celle-ci ou, par tous moyens de preuve, notamment par témoignages et en particulier celui du chef de service responsable de la conservation des données, des difficultés éventuellement rencontrées pour y procéder. »

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