Le 16 novembre 2023, la commission d’enquête sur le projet d’extension de l’usine de ST à Crolles (coût 7 milliards d’euros) a rendu son rapport et ses conclusions.
Elle émet un avis favorable à la demande d’autorisation environnementale au titre des installations classées pour la protection de l’environnement pour le projet d’extension de l’usine de fabrication de plaquettes de circuits intégrés de STMicroelectronics, implantée sur la commune de Crolles. Cette réponse est assortie de 4 réserves et de 6 recommandations.
Rappelons que si les réserves ne sont pas levées lors de l’arrêté préfectoral qui autoriserait la réalisation des travaux, l’avis deviendrait défavorable, fragilisant fortement le projet. La question de l’alimentation en eau fait partie des fragilités du projet : « La diversification de la ressource en eau prévue par l’industriel n’a pas convaincu. Pour la commission d’enquête, le compte n’y est pas ».
Une des critiques de la commission est l’absence de la concertation préalable sous l’égide de la CNDP (Commission nationale du débat public), obligatoire pour tout projet de plus de 600 millions d’euros) :
« La commission d’enquête ne peut que regretter que la Commission nationale du débat public (CNDP), comme celle-ci nous l’a confirmé (cf. annexe 20), n’ait pas été sollicitée avant le démarrage de cette enquête, comme le prévoit la loi, pour mener ce débat de fond, débat que ne pouvaient mettre en place efficacement les commissaires enquêteurs en deux réunions publiques destinées à informer le public du projet. »
Voici la liste des réserves et des recommandations :
« Réserve n°1 concernant la communication grand public :
Il conviendra que la prochaine réunion publique parmi celles auxquelles s’est engagé annuellement le maître d’ouvrage, soit en fait un débat public se déroulant en 2024 sous l’autorité d’un garant indépendant désigné par la CNDP.
Réserve n°2 concernant les forages envisagés dans la nappe du Grésivaudan :
Il conviendra que ST respecte les contraintes suivantes :
o contrainte n°1 : chaque pompage en nappe ne dépassera pas 150 m3/h par puits et la durée des pompages et les quantités annuelles prélevées éviteront tout impact sur le milieu naturel et tout dommage à l’industriel voisin, et des garanties pour ce faire seront mises en place ;
o contrainte n°2 : toute demande d’autorisation de pompages prévus par ST sera basée sur des essais en période d’étiage
- de débits équivalents à la demande totale de tous les pompages (celui en cours et ceux envisagés),
- et représentatifs du fonctionnement de l’usine en régime de secours.
o contrainte n°3 : les essais seront assortis des mesures suivantes :
un état zéro sera réalisé sur un an, afin d’évaluer les impacts sur le milieu naturel par :
- Un point ADNe et/ou IBGN de la faune aquatique dans le canal de Bresson à Saint-Ismier, ainsi que la faune terrestre et notamment le castor, idéalement sur les zones humides liées au canal et aux chantournes au pied du site entre le Craponoz et le fossé de Pré Noir,
- Un suivi sur un an des débits de la chantourne (fossé de la digue du Raffour) et sur le canal de Bresson à Saint-Ismier, idéalement réalisé en deux points entre le ruisseau de Crolles et le Craponoz, l’un à l’amont des forages, l’autre en aval
Réserve n°3 concernant la demande de dérogation au titre de l’article R. 515-68 du code de l’environnement portant sur les rejets liquides dans le milieu récepteur, de cuivre, d’azote et de phosphore total dans le cadre du projet d’extension avec REUSE :
Il conviendra que ST ne demande aucune dérogation à ce sujet ; que les meilleures solutions de traitement des concentrats de l’osmose inverse du projet REUSE envisagés dans l’ÉTÉ soient mises en place pour assurer le respect de l’ensemble des NEA-MTD.
Réserve n°4 concernant les engagements de ST
Il conviendra que STMicroelectronics tienne les 10 engagements listés ci-dessous dans un délai de 3 ans qui suivra l’autorisation ; et que communication en soit faite au public. Les engagements (figurant en annexe 19) sont :
Liste des engagements de ST
ST s’engage à :
1. Organiser une réunion publique annuelle à partir de 2024 ;
2. A propos des forages :
- Etudier l’impact des forages sur la nappe alluviale et les usagers ;
- Réaliser un inventaire faune-flore au niveau de la zone humide à proximité des forages en projet (STEL2) ; • Participer à un suivi de la sécheresse hydrologique des sols après le démarrage des prélèvements et à la suite de la finalisation de l’étude d’impact des forages en cours.
- Concernant le suivi du débit du canal de Bresson à Saint Ismier, réaliser un suivi sur 1 an après démarrage des prélèvements, à une fréquence de 2 mois, afin d’avoir des mesures pour les basses, moyennes et hautes eaux.
3. A propos de la consommation énergétique : dans le cadre du programme d’efficacité énergétique du site, poursuivre le déploiement du freecooling (Installations à condenseurs adiabatiques correspondant à un refroidissement passif) sur des recycleurs d’air existants et sur des installations existantes de production d’air comprimé entre 2024 et 2025 ;
4. Réaliser des études d’autres projets d’installation de condenseurs adiabatiques pour du « freecooling », principalement sur les installations de production d’air comprimé, des réseaux de refroidissement des recycleurs d’air et des réseaux de refroidissement process ;
5. A propos de la gestion du bruit : Renforcer la remontée d’information lors de ces mesures et de recommuniquer le numéro d’appel téléphonique de la « ligne anti-bruit » ;
6. A propos de la gestion de la pollution de l’air : poursuivre les actions pour réduire les GES du site, au travers du programme de neutralité carbone ;
7. A propos de la gestion de la pollution lumineuse : faire un inventaire des zones susceptibles de rester éteintes et étudier des solutions techniques permettant de réduire la nuisance lumineuse, tout en maintenant la sécurité et la sûreté du personnel ;
8. Poursuivre le programme de remplacement des éclairages actuels par des LED. Un projet est envisagé pour le réaménagement du parking : la mise en place de détecteurs de présence sera intégrée à l’étude liée à ce projet ;
9. A propos de la consommation d’espace : faire une étude de faisabilité d’un parking en silo d’ici 2025, intégrant la mise en place de panneaux photovoltaïques ;
10. En termes de mesures compensatoires, dans le cadre d’un plan de transition écologique, participer à des actions locales (SYMBHI, communes de Crolles et Bernin, communauté de communes Le Grésivaudan) de reboisement, etc.
6 recommandations au maître d’ouvrage :
1- Après mise en route des forages, il conviendrait que soient réalisés sur quatre années :
- a. Un suivi de l’état de la nappe via les piézomètres en place (industriels et agricoles),
- b. 3La poursuite des suivis ADNe et/ou IBGN et des débits dans la chantourne du Raffour et le canal de Bresson à Saint-Ismier,
- c. Un suivi de l’état hydrique des sols au sud de la parcelle ST ;
2- Il conviendrait que les résultats annuels de ST fassent état des effets cumulés avec SOÏTEC et ECTRA tant pour les pollutions de l’air et de l’eau que les dangers et la consommation en eau, conformément au code de l’environnement (III de l’article L122-1) ;
3- Il conviendrait de prévoir une plate-forme d’information du public – observatoire (eaux de ruissellement, inventaires faune-flore aquatique et terrestre, résultats des études hydrogéologiques, étude de danger réduite, évolution du recyclage, de la consommation électrique, qualité des rejets en eau et gazeux) ;
4- Il conviendrait de réaliser un plan de transition écologique intégrant :
- Une compensation écologique par rapport à la surface imperméabilisée (proposition à faire, à chiffrer),
- Une amélioration de la trame noire en effectuant des plantations comprenant arbres, arbustes et buissons pour augmenter la biodiversité et mieux intégrer le site ;
5- Il conviendrait de communiquer au public son Plan de Sobriété Hydrique ;
6- Il conviendrait d’étendre les mesures de réduction des rejets atmosphériques aux unités de production des plaques de 200 mm et conjointement planifier une évolution du processus de fabrication du site actuel pour améliorer ce paramètre à l’identique de l’extension.
4 suggestions aux collectivités
Il serait souhaitable :
1- de prévoir un débat sur la ressource et le partage de l’eau avec les territoires voisins (CCLG, GAM, Voironnais, Saint-marcellin-Isère) ;
2- d’organiser des solutions d’hébergement pour les familles des prochains employés ;
3- d’organiser le transport collectif des salariés, développer les infrastructures pour transport collectif et les liaisons douces. Dans ce cadre, augmenter la fréquence de la navette expresse ;
4- d’organiser, dans le cadre du PLU, un débat sur l’artificialisation des sols du Grésivaudan.
Suggestions aux autorités
La commission d’enquête suggère aux services de :
- Tenir compte de l’utilisation des ressources pour définir le périmètre d’enquête ;
- Intégrer les impacts et les risques des projets découlant les uns des autres (ST, ECTRA, SOÏTEC) ;
- Faire en sorte que le dossier d’enquête publique soit adapté à sa destination : communiquer par le biais d’un dossier accessible au public ;
- Limiter le nombre de pièces confidentielles d’un dossier ;
- Lorsque dans un élément du dossier, des points sont classés confidentiels, veiller à ce que l’ensemble de l’élément ne soit pas classé en confidentiel de façon à ne pas altérer la bonne information du public ;
- Vérifier que les obligations en matière de concertation sont bien remplies ;
- Même s’il n’y en a pas obligation, penser à consulter des PPA avant lancement de l’enquête, notamment celles concernées par l’utilisation des ressources publiques, les transports et le logement ;
- Ne pas attendre 2035 pour commencer à lancer des études de transport en commun et pour mettre en place des moyens de transport conséquents et en adéquation avec le projet et ses externalités ;
- Étudier l’accumulation à long terme des polluants dans les nappes phréatiques de l’Isère ;
- Gérer la concomitance des rejets avec d’autres industries locales et leurs conséquences potentielles en termes d’effets combinés, d’effets cocktail, et d’alerte pour les prélèvements à l’aval ;
- Évaluer les effets sur la température de l’Isère, des rejets liquides de ST et ceux cumulés des entreprises voisines. »
Mots-clefs : Eau, enquêtes publiques, risques chimiques, technos