Une mobilisation sans faille contre la corruption et les abus de biens sociaux

Publié le 22 mars 2024

En 1983 à Grenoble, la nouvelle majorité municipale de droite s’installe et construit un système de corruption qui soumet les services publics aux intérêts privés. Les Grenoblois en payent toujours les dégâts, dont la dette importante de la ville qui n’a jamais pu être réduite et l’entretien du patrimoine, oublié durant 12 ans, que les équipes suivantes restaurent progressivement et à grand peine.

Ceci est décrit dans le livre de Raymond Avrillier et Philippe Descamps « Le système Carignon » disponible en libre accès sur internet ici.

L’ADES a édité en 2003 une petite brochure qui complète cet ouvrage, intitulée « Un corrompu de retour aux affaires ».

Entre 1983 et 1995, la ville a été mise en coupe réglée au profit des grands groupes privés à qui ont été concédés des services publics qui étaient très performants de Grenoble : électricité, gaz, eau, assainissement, chauffage urbain…

Dans différents articles – tous accessibles sur notre site- de très nombreux détails sont apportés sur cette partie sombre de l’histoire de notre ville, qui pèse toujours aujourd’hui.

Revenons à ce qui s’est passé dans un des satellites de la ville, la Société d’économie mixte Compagnie de chauffage (SEM CCIAG) dans les années 1990 et 2000, et révélé grâce à l’opiniâtreté des élus ADES fraîchement arrivés au Conseil Municipal et de Vincent Fristot devenu président de la CCIAG de 1995 à 2001. Leurs actions ont été menées malgré les réticences du maire Michel Destot qui ne voulait pas nettoyer correctement les dégâts du passé.

Deux personnes sont directement responsables de ce qui s’est passé dans cette société d’économie mixte CCIAG : Richard Cazenave élu et Michel Bouteille directeur qui ont abusé des biens sociaux de la SEM pour en faire un usage contraire aux intérêts de la société ainsi que de la filiale SINERGIE de la CCIAG.

M. Cazenave, conseiller municipal délégué de M. Carignon de 1989 à 1995, colistier de Monsieur Carignon sur la liste UMP aux élections municipales de Grenoble en mars 2014, a été élu conseiller municipal de Grenoble en mars 2014. Il était dirigeant de la fédération de l’Isère du RPR de 1989 à 1991, député RPR puis UMP de l’Isère de 1988 à 2007. Il était directeur de la CCIAG en 1983 puis président de 1989 à 1995. Pour noircir encore un peu le tableau, M. Cazenave a aussi été trésorier du RPR de l’Isère et a été mis en cause pour financement irrégulier du parti politique dans l’affaire « cabinet Martin ». Il lui était reproché d’avoir utilisé des fonds détournés de la comptabilité du cabinet Martin, créé à Lyon et spécialisé dans l’ingénierie thermique, afin de financer illégalement le RPR (Cour d’appel de Lyon, chambre criminelle, 26 janvier 2005).

Son complice, M. Michel Bouteille, est directeur général de la CCIAG de 1989 à 1995, détaché de la Compagnie Générale de Chauffe (groupe Compagnie Générale des Eaux) qui a généreusement assuré sa défense devant la justice.

Le 24 juillet 1995, Vincent Fristot est élu président de la CCIAG par le nouveau conseil d’administration (CA) de la société. Dès la fin 1994 l’attention était attirée par des malversations concernant le contrat de chauffage du CHU de Grenoble avec la CCIAG et sa filiale SINERGIE.

Rapidement, Vincent Fristot président de la CCIAG commande un audit interne de la société qui fait apparaitre de nombreuses anomalies, ce rapport est transmis au maire de Grenoble Michel Destot. Le président met fin à de nombreuses dépenses de la CCIAG étrangères au service public.

En décembre 1995, Vincent Fristot découvre que plusieurs documents de la SEM sont antidatés, il demande au Conseil d’administration de la CCIAG de mettre fin au mandat de M. Bouteille en tant que Directeur Général de la SEM CCIAG. Le CA autorise le Président à porter plainte contre X « pour faux et usage de faux et pour toute autre infraction qui viendrait à être éventuellement constatée ». Le dépôt de plainte est déposé sans tarder. Et une enquête préliminaire est ouverte rapidement par le parquet de Grenoble.
Le Président de la SEM CCIAG informe l’actionnaire privé (Compagnie Générale de Chauffe) de sa décision de résilier la convention d’assistance, entre la CCIAG et la Compagnie de chauffe, signée le 20 octobre 1992 qui coûte annuellement 1375 kF à la CCIAG.

En mars 1996, M. Alain Fémeau, détaché de la CGC et proposé par le maire, directeur par intérim depuis fin décembre 1995 est nommé Directeur Général de la SEM CCIAG.

M. Cazenave reconnaît l’utilisation des services d’une salariée de SINERGIE comme femme de ménage à son domicile (de 1990 à 1994, rémunération nette 174 kF) et d’un salarié de la SEM CCIAG comme chauffeur particulier.

En février 1997, le Président de la SEM CCIAG dépose plainte contre X avec constitution de partie civile de la SEM CCIAG des chefs d’abus de biens sociaux et complicité.
En juin 1997, une information judiciaire est ouverte sur les dossiers de la SEM CCIAG et en décembre, mise en cause de MM. Cazenave et Bouteille.

Mais Michel Destot commence à considérer que le président Fristot va trop loin dans le nettoyage des écuries d’Augias. Il va faire intervenir certains membres du conseil d’administration de la CCIAG pour limiter les actions du président. Le 5 juillet 1999, le CA de la SEM CCIAG limite les pouvoirs du Président sur demande de M. Pilaud administrateur de la Ville et demande que toute nouvelle action en justice fasse l’objet d’une autorisation préalable du conseil d’administration.

Pour mieux comprendre la frilosité du PS dans toutes les affaires concernant le système Carignon, il faut se souvenir du financement occulte des partis politiques de l’époque, qui faisait l’objet d’un accord tacite entre M. Carignon, le PS et le PC.

Lors de l’audience du 8 septembre 1998 au tribunal correctionnel de Grenoble, M. Névache (important responsable du PS entre 1960 et 1980) appelé à témoigner, a pu décrire le système des pots de vins organisé par M. Carignon sur tous les marchés de l’agglomération : 2% des sommes des travaux réalisés par les entreprises étaient reversées aux partis politiques : 1% pour le RPR, 0,5% pour le PS et 0,5% pour le PC.

Le 23 novembre 1999 au Tribunal Correctionnel de Grenoble sont révélés les faits d’abus de biens sociaux effectués par M. Cazenave et M. Bouteille au détriment des sociétés dont ils étaient les responsables.

M. Bouteille propose le désistement de la constitution de partie civile de la SEM CCIAG en échange d’un chèque de 2.070.321 F. Le Président de la SEM CCIAG, Vincent Fristot, indique aux administrateurs que le chèque a été restitué à M. Bouteille car la réserve liée à l’abandon de la constitution de partie civile ne pouvait être levée.


Le 20 septembre 2000, un arrêt de la Cour d’Appel de Grenoble confirme les faits d’abus de biens sociaux.


Le 23 novembre 2000 : le Président de SEM CCIAG, licencie M. Cazenave pour faute grave suite aux faits relevés par la Cour d’Appel, M. Cazenave étant toujours titulaire d’un contrat de travail au sein de la SEM CCIAG.

Après la fin de mandat en avril 2001 de M. Vincent Fristot, Président de CCIAG, la Cour de cassation le 27 juin 2001, casse le jugement de la cour d’Appel de Grenoble.

A l’issue des élections municipales de 2001, la CCIAG présidée par un proche de Michel Destot, va retirer la plainte en partie civile, ce qui va empêcher la CCIAG à être indemnisée.

L’affaire se termine par l’arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence du 28 janvier 2004, qui confirme que R. Cazenave et M. Bouteille avaient été auteurs d’abus de bien sociaux au détriment de la SEM CCIAG.

La lutte pour s’assurer que le service public est bien au « service » du public et pas à d’autres intérêts va se poursuivre encore pendant des années sur le terrain de la justice administrative. Elle va permettre la définition de justes tarifs pour cet important service public, essentiel outil pour la transition énergétique décarbonée.

En octobre 2004, Raymond Avrillier en tant qu’administrateur de la SEM CCIAG s’oppose à la décision d’augmentation de 11% des tarifs du chauffage urbain prise par le seul conseil d’administration de la SEM sans que le conseil municipal de Grenoble et celui des autres communes délégantes aient décidé les tarifs de ce service public. Il dépose un recours en 2004 devant le tribunal administratif en annulation des décisions tarifaires prises par le conseil d’administration de la SEM CCIAG qui n’en a pas la compétence, alors que depuis 1983 ce devait être au conseil municipal de Grenoble de décider des tarifs. L’ADES qui loue un local chauffé au chauffage urbain demande également en 2008, à la justice d’annuler les tarifs décidés le 23 juin 2008.

Le tribunal administratif de Grenoble va juger ces dossiers le 17 juillet 2012, soit 7 ans après (pour le recours Avrillier) et 4 ans après (pour le recours ADES). Les décisions tarifaires de la CCIAG sont annulées pour illégalités :

« … lorsqu’un service public communal a fait l’objet d’une délégation de service public, la détermination du prix du service ou du montant de la redevance ne peut être laissée à la discrétion du concessionnaire ;… qu’en approuvant la signature d’un tel contrat [avec la SEM CCIAG en 1983], le conseil municipal de la commune de Grenoble a méconnu l’étendue de sa compétence ; qu’il en résulte que les clauses de nature réglementaire du contrat relatives à la fixation du tarif du service sont entachées d’illégalité »

De nombreuses copropriétés demandent à être remboursées du trop perçu par la CCIAG dans les factures entre 2008 et 2011. Ce qu’elles ont obtenu plus tard.

L’arrivée de la gauche et des écologistes à la mairie en 2014 va permettre de mettre fin à une dernière anomalie dans la gestion des SEM : la désignation du directeur général de ces sociétés. C’est dorénavant la collectivité qui propose le directeur général au Conseil d’Administration de la société et non l’actionnaire privé, ce qui n’était pas le cas sous les mandats de M.Carignon et de Michel Destot. Pour la CCIAG, c’est ce qui est décidé sous la présidence d’Hakim Sabri, en 2014, qui inaugurera donc cette profonde réforme.

Grâce à la mobilisation des usagers du chauffage urbain, organisés dans le collectif « Pour un chauffage urbain juste et solidaire« , un important travail sur le tarif du service public permet d’avoir une structure de tarification inédite qui incite réellement les usagers à faire des économies de chauffage, en diminuant la puissance souscrite au fur et à mesure de la baisse de leur consommation. Il n’y a plus de partie fixe dans l’abonnement.

Cette longue lutte soutenue par les usagers a permis de remettre en ordre les contrats de délégation de service public et permet ainsi, que les usagers soient remboursés d’une partie de leurs factures, lorsque la CCIAG a des résultats importants, c’est ce que l’on nomme, « la clause de retour à meilleure fortune« .

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