Voici la fin des extraits du travail de recherche effectué par Josselin SIBILLE en 2012.
12. Observations
En 1980, l’équipe d’Alain Touraine publie un ouvrage relatant un travail d’intervention sociologique réalisé avec des militants anti-nucléaires. S’appuyant sur certains témoignages, mais aussi sur l’implication de l’un des chercheurs au sein du mouvement anti-nucléaire, ils écrivent :
« Yves Le Gall s’est aperçu rapidement que les comités de Malville seraient récupérés par l’extrême gauche : l’extrême gauche grenobloise s’y précipitait massivement alors que, quelques semaines avant, elle manifestait un désintérêt complet pour les questions écologiques et nucléaires »[1]
En 1992, deux journalistes, Vincent Jacques le Seigneur et Raymond Pronier, par ailleurs tous deux militants chez les Verts publient Génération Verte, les écologistes en politique[2], ouvrage qui semble faire référence pour plusieurs historiens. Paraphrasant allègrement et sans le citer l’ouvrage de Touraine et de son équipe, ils écrivent :
« Après la réussite de la lutte de 1976, la plupart des comités Malville furent envahis par divers groupuscules gauchistes où dominaient les tendances gauchistes les plus dures, qui jusque-là manifestaient un désintérêt complet pour les questions écologiques et nucléaires. Certains non-violents se souviennent de les avoir vus arriver « comme des charognards. »
En 2003, l’historien américain Michael Bess, pour qui Génération Verte constitue une source privilégiée, aboutit à l’explication suivante :
« Lors des manifestations du milieu des années 1970, les écologistes, relativement peu expérimentés, acceptèrent la participation de contestataires « vétérans », issus de différents courants proches de la gauche radicale ou anarchiste. Ces militants, plus proches de Bakounine, de Fanon et de Marcuse que de Rachel Carson, trouvaient dans les manifestations antinucléaires un excellent moyen de se battre contre leur ennemi juré, le gouvernement central[3]. »
Une telle thèse me semble être davantage le fait d’une vision normative de ce que doit être un mouvement écologiste, que le résultat d’un véritable travail historique[4]. L’étude de la situation grenobloise montre en tout cas combien elle est caricaturale. À partir de 1974 en effet, le mouvement écologiste grenoblois opère la réunion de militants, venus d’horizons complètement différents, au sein d’un ensemble de luttes aux aspirations environnementales, sociales et démocratiques. Partant de préoccupations différentes, autogestionnaires, militants d’unions de quartier, écologistes, environnementalistes et maoïstes militent alors ensemble en vue d’objectifs communs et concrets : diffuser des informations sur la pollution au CENG, sauver la Colline Verte, empêcher la construction de Super-Phénix… Pendant près de deux ans, la dynamique enclenchée autour de ces luttes semble masquer les profonds désaccords qui subsistent entre les différentes tendances. Le fait que ces tensions ressurgissent à partir de 1976, et qu’elles se polarisent autour de l’extrême gauche, ne doit pas masquer son implication au sein du mouvement écologiste et antinucléaire bien avant cette date. À Grenoble en tout cas, une partie de l’extrême gauche — et assurément la plus influente — a intégré très tôt les questions environnementales. Mieux, elle a constitué véritablement un élément moteur du mouvement écologiste grenoblois, à qui elle a apporté un soutien considérable sur le front de l’information. Si c’est effectivement leur vocation révolutionnaire et le choix de la violence qui a constitué le point de rupture entre les maoïstes et les tendances plus réformistes du mouvement, l’implication durable de ces militants au sein des luttes écologistes grenobloises empêche de réduire leur engagement à la seule volonté d’en découdre avec l’État.
[1] Alain Touraine et al., La prophétie antinucléaire, Paris, Seuil, 1980.
[2] Vincent Jacques le Seigneur, Vincent Pronier, Génération Verte : les écologistes en politique, Paris, Presses de la Renaissance, 1992.
[3] Michael Bess, La France Vert Clair : Écologie et Modernité technologique (1960-2000), Paris, Champ Vallon, 2011.
[4] Ainsi Michael Bess écrit-il : « Il faudrait des années pour que le mouvement écologiste soigne ses blessures, se réorganise, exclut les anarchistes et revienne sur la scène politique en concurrent institutionnel à part entière et avec une stratégie plus modérée ». [C’est moi qui souligne], op. cit., p.136.