Les « affaires » du président de la Région prennent de l’ampleur

Publié le 27 octobre 2023

Après l’affaire des diners fastueux de L. Wauquiez (voir Banquets fastueux de Wauquiez : l’addition d’argent public grimpe encore | Mediapart), la cellule d’investigation de Radio-France a révélé qu’existait des soupçons d’emplois fantômes auprès de Laurent Wauquiez au conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes. Ce sont les services administratifs du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes qui ont alerté sur la possible existence d’un “emploi fictif” au sein du personnel. La cellule investigation de Radio France a recensé trois autres emplois qui posent question.

Voici des extraits de cet article très détaillé :

« Nous avons questionné plusieurs élus et membres du conseil régional. Le nom de Nawel G. ne leur dit rien non plus. Elle occupe pourtant ce poste depuis 2019. Selon nos informations, son contrat court jusqu’en 2025 et son salaire mensuel net est de 5 080 euros. Sur sa page LinkedIn, il est indiqué que Nawel G. est « déléguée régionale à Paris » de la région Auvergne-Rhône-Alpes. La région lui loue effectivement un bureau quai de Grenelle, au siège de Régions de France (RDF, anciennement Association des régions de France) pour un loyer annuel de 12 500 euros. Un salarié de Régions de France nous confirme l’avoir croisée à plusieurs reprises mais « a du mal à cerner ses fonctions exactes ». Alors que fait-elle là-bas ? Sur cette même page, elle dit s’occuper « de la coordination régionale pour la réalisation des priorités du mandat » et du « suivi actif de l’exécutif pour l’élaboration de politiques régionales cohérentes ».

À la région Auvergne-Rhône-Alpes, on en doute pourtant fortement. Selon les informations de la cellule investigation de Radio France, les services administratifs du conseil régional se sont étonnés en avril dernier, auprès du président Laurent Wauquiez, de l’existence de ce poste qui « ne figurait dans aucun organigramme ». D’après un document écrit par les services, ce poste n’aurait « pas d’utilité, ni de contenu » et pourrait s’apparenter à « un emploi fictif ».

Alerté, Laurent Wauquiez a d’abord maintenu Nawel G. à son poste. Elle a même fait son apparition au printemps 2023 dans l’organigramme de la région… avant d’en être retirée l’été dernier. Selon nos informations, la presque quadragénaire a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un licenciement le 6 septembre. Si elle fait encore partie des effectifs, son départ semble avoir été acté car, selon une source interne à la région, la situation devenait « intenable »…

A-t-elle été recrutée pour faire de même avec Laurent Wauquiez dans la perspective de la présidentielle 2027 ? L’intéressée dément formellement. « Il n’y a pas de pré-campagne présidentielle en cours », nous répond-elle. Nawel G. indique pouvoir « fournir tous les documents qui attestent de [s]on travail » à la région. « Je ne peux pas croire que je ne figure pas dans l’organigramme », écrit-elle. Elle précise également que son entreprise de conseil n’était « pas une agence à proprement parler » et qu’il s’agissait d’une « activité très accessoire ».

Le cas de trois autres salariés de la région pose aussi question. Eux figurent bien dans l’organigramme régional. Tous trois sont conseillers au sein du cabinet de Laurent Wauquiez, qui compte au total 16 collaborateurs. Il s’agit d’Arnaud B., Roch d. B et Charlotte V.

Arnaud B., 48 ans, est le plus connu de tous. Décrit comme « l’éminence grise », voire le « spin doctor » de Laurent Wauquiez par les journalistes politiques nationaux que nous avons interrogés, il l’a suivi dans toutes ses fonctions depuis 2007, qu’elles soient ministérielles, à la tête du parti LR et à la région Auvergne-Rhône-Alpes. À la région, il occupe depuis octobre 2019 le poste de conseiller spécial au sein du cabinet. Sa rémunération mensuelle se situerait aux alentours de 10 000 euros brut mensuels, selon une source interne. Arnaud B. dispose d’un bureau attitré, le 5-040, au 5e étage de l’hôtel de région à Lyon. Mais d’après un élu rhodanien proche de Laurent Wauquiez, il vit en fait « à Bordeaux avec sa famille » et « travaillerait à Paris ». Une source administrative de la région nous précise : « Arnaud B. travaille rue de Solférino à Paris. » …

Arnaud B. y occupe un bureau mitoyen à celui de Laurent Wauquiez : le bureau « Sancy » (du nom d’un sommet auvergnat). Qu’un collaborateur rémunéré par le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes travaille depuis Paris ne pose en soi pas de problème, s’il traite de problématiques locales. Mais « il se dit de plus en plus parmi les élus qu’il y a une ambiguïté », nous confie un parlementaire Les Républicains (LR) de la région. Un haut fonctionnaire affirme lui, qu’Arnaud B. « ne s’occupe que de politique nationale. Les dossiers locaux, ce n’est pas son affaire ». Les journalistes parisiens qui couvrent la droite au niveau national expliquent qu’Arnaud B. est leur « interlocuteur naturel » et même « incontournable » pour parler de, et à Laurent Wauquiez.

Interrogé pour savoir quel est son rôle exact à la région, Arnaud B. confirme qu’il est « en tant que collaborateur du président de Région, régulièrement contacté par des médias nationaux » mais, ajoute-t-il, « pas uniquement ». Son rôle ? « Je m’efforce de répondre aux journalistes sur tout type d’interrogations ou de demandes concernant le Président de Région », explique-t-il.

Toujours au 4, rue de Solférino à Paris, se trouve le bureau d’une autre collaboratrice de Laurent Wauquiez : Charlotte V., 27 ans. Elle occupe la pièce « Puy-De-Dôme ». D’après l’organigramme de la région Auvergne-Rhône-Alpes, elle est devenue conseillère technique il y a un an, après un court passage au service d’action territoriale de la région en septembre 2022. À ce titre, elle perçoit aux alentours de 4 000 euros brut mensuels, selon une source interne.

Étonnamment, la jeune femme ne fait pas état de ce poste en Auvergne-Rhône-Alpes sur sa page LinkedIn. On y apprend en revanche qu’elle est adjointe au maire de Nemours (Seine-et-Marne) et vice-présidente des Jeunes Républicains au niveau national. À Nemours, Charlotte V. est bien connue de la population. Elle s’occupe du portefeuille de la démocratie locale, du cadre de vie et de la communication. C’est aussi la fille de la maire de Nemours, Valérie Lacroute, ancienne députée LR. Techniquement, d’après des élus locaux seine-et-marnais, un poste d’adjoint à Nemours n’est pas incompatible avec un poste de collaboratrice de cabinet, même à 400 kilomètres de là. Tous les adjoints ont un travail en sus de leur fonction municipale, nous dit-on.

Sauf qu’à Lyon, personne « n’a entendu parler » de Charlotte V. Ni les élus que nous avons interrogés, ni le personnel administratif, même parmi les plus anciens. Un haut fonctionnaire de la région croit savoir qu’elle « fait des fiches pour après », à savoir 2027, année de la prochaine élection présidentielle pour laquelle Laurent Wauquiez est le candidat pressenti chez Les Républicains. Interrogée, la jeune femme se défend. « Contractuellement, ma résidence administrative est à Paris, nous écrit-elle. J’assure l’organisation et le lien avec les institutions et les personnalités dans le cadre du mandat de Laurent Wauquiez. »

Le cas de Roch d. B., 34 ans, est plus mystérieux encore. D’après l’organigramme de la région, il est directeur adjoint de cabinet depuis janvier 2023. À ce titre, selon une source interne, il perçoit environ 8 000 euros brut par mois. À Lyon, son bureau attitré est le 5-047. Sauf que là encore, personne ne le connaît ni le croise au conseil régional, même parmi des élus de la majorité LR. Un petit tour sur son profil LinkedIn nous apprend qu’il a été stagiaire au cabinet de Laurent Wauquiez lorsque ce dernier était ministre de l’Enseignement supérieur en 2011. Roch d. B. a ensuite occupé un poste de conseiller technique lors du premier mandat de son mentor à la région (2016-2018), puis de directeur adjoint chargé des études au sein du parti Les Républicains (de 2018 à début 2023). En janvier 2023, il fait son retour dans les effectifs du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Selon une source haut placée au conseil régional, il est le « troisième de la bande » à occuper les bureaux de la rue de Solférino avec « en ligne de mire 2027 ».

Contacté, Roch d. B. affirme au contraire occuper un emploi en lien avec la région. « J’ai en charge la supervision du travail des conseillers techniques […] et la préparation de prises de parole de Laurent Wauquiez », nous explique-t-il.

Quoi qu’il en soit, avec trois collaborateurs et une déléguée (Nawel G.) basée à Paris, Laurent Wauquiez dispose d’une solide équipe parisienne. Lui-même est d’ailleurs souvent présent dans la capitale. Selon son agenda du printemps 2023 que nous avons pu consulter, le patron d’Auvergne-Rhône-Alpes séjourne dans sa région un à deux jours par semaine, au maximum trois. Le reste du temps, il est essentiellement à Paris ou en déplacement, en dehors de sa région ou à l’étranger (en Arménie du 28 au 31 mars 2023 par exemple)…

Selon un document interne au conseil régional que nous avons pu consulter, son adresse officielle se trouve pourtant rue Vaneau, dans le 7e arrondissement de Paris depuis le 1er juillet 2021. Quant aux quatre collaborateurs basés à Paris, le cabinet de Laurent Wauquiez nous précise qu' »à la Région comme dans toute organisation, le télétravail s’est considérablement développé ces dernières années ». Selon nos informations au conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, le recours au télétravail est plafonné à deux jours par semaine, comme l’indique l’annexe 4 du protocole du temps de travail. »

Cela fait beaucoup de suspicions de dérogations à la légalité par le président de la région, voir par exemple nos articles précédents :

La justice administrative rappelle à l’ordre M. Wauquiez qui ne respecte ni les principes républicains, ni la loi, ni la démocratie « ADES – Le Rouge et le Vert (ades-grenoble.org)

La CNIL rappelle à l’ordre M. Wauquiez qui a utilisé illégalement les données personnelles des élèves et apprentis de la région « ADES – Le Rouge et le Vert (ades-grenoble.org)

Monsieur Wauquiez rappelé à l’ordre républicain par le préfet de Région et la Chambre régionale des comptes, ce 14 août 2018 « ADES – Le Rouge et le Vert (ades-grenoble.org)

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